vendredi 18 février 2011

Donjons & Dragons : Démolir les vieux clichés 1


Donjons & Dragons? Mais c'est un jeu un peu "simple" nan?

   Boudé par des joueurs et des maîtres un peu "puristes" (et dans le fond on ne peut pas vraiment leur en vouloir), considéré comme extrêmement bourrin dans son système de jeu, Donjons & Dragons (D&D) reste l'exemple parfait pour montrer qu'en jeu de rôles, tout est une question d'ambiance. Ou, comment montrer que D&D peut être un jeu de rôles intéressant et subtil quand le MJ et les PJ le sont.

    Ouais ouais, c'est le jeu de rôles où on joue des brutes indestructibles qui pillent des tombeaux remplis d'or et de monstres tous rassemblés dans un même endroit par un incroyable concours de circonstance ("mais comment il est rentré, le troll géant, dans la salle du trésor? la porte elle fait 1m20, même le nain a du se baisser!")
   Beaucoup de rôlistes, moi y compris, ont fait leurs premières armes sur ce jeu légendaire, réédité maintes et maintes fois; incontestable best-seller du jeu de rôles.
Tous les rôlistes qui ont commencé par D&D "au collège avec leur pote MD (maitre du donjon)" ont fatalement connu la situation racontée plus haut.
Et pourtant, D&D ne se limite pas qu'à ça, et heureusement!...


   Le MD s'appuie sur les bouquins de règles pour pondre un aventure qui se limite à :
- un début dans une auberge où les PJ font connaissance
- ils se disent que, même s'ils ne se connaissent pas, c'est trop cool d'aller ensemble explorer le donjon abandonné dans la foret
- ils y vont en quête de boucherie et de richesse

A l'intérieur du donjon :
- Les gobelins ont beau vivre dedans toute l'année, ils s'arrangent quand même pour truffer tous leurs couloirs de pièges ("attention dédé, si tu vas chier, n'oublie pas qu'il y a une fosse remplie de piques devant les latrines!" "aaargh!" "ah, trop tard...")
- le donjon en question est une succession de couloirs et de pièces vides, excepté bien sûr, les monstres.
Je vous passe les autres clichés.
Bon si je devais reformuler le titre de ce post de manière provocante, je l'intitulerais :

Alors, où est l'intérêt de continuer à jouer à D&D ?
    L'argument principal reste l'accessibilité : le système de jeu est simplissime, l'univers médiéval fantastique est attrayant (énormément popularisé par la sortie au cinéma du "Seigneur des Anneaux" version Peter Jackson ; pour le meilleur et pour le pire :p ) et le jeu est tourné vers l'ouverture (il y est facile de créer son propre univers de jeu).

Donjons & dragons (D&D) est-il un jeu de gros bourrin décérébré?

Voilà qui est fait, passons donc au cœur du problème.
Hé. Vous avez grandi les gars. C'est fini l'aventure "porte-monstre-trésor-fille du bourgmestre".
Le jeu n'est qu'un système de règles, c'est un support, une base. Vous en faites ce que VOUS voulez.
Mais il y a quand même plusieurs choses à faire d'urgence :
- N'achetez pas le livre du maitre : il vous POUSSE à faire ces aventures complètement vides et plates
- Mais comme je sais que vous l'avez déjà acheté, hé bien brûlez-le (attention les enfants, ne faites pas ça chez vous! Le feu ça brule tout, y compris votre maison, vos parents et vous, dans d'atroces souffrances)
- Ou en tout cas, ne le lisez pas
- Ou bien, ne faites pas ce qu'il vous dit
  Ce livre du maitre est simplement rempli de règles avancées improbables ("le tir à l'arc de dos, les yeux bandés, à une seule main, en équilibre instable sur une jambe posée sur la tête du troll qui chute de la falaise") et d'objets magiques superficiels.
Rien, mais absolument RIEN ne parle de l'ambiance!
  Et pourtant, il s'agit d'un de mes jeux de prédilection, avec mon groupe régulier de joueurs, 25 ans de moyenne d'âge et en pratique moins d'un combat par partie.
   L'ambiance est fortement orientée vers le "thriller", le suspense et "l'épouvante". Ce n'est pas tant que d'essayer de faire peur, mais de maintenir une tension tout le long de la partie.



Comment démolir les clichés de Donjons & Dragons étape par étape :
 
Un personnage n'est pas qu'une suite de caractéristiques

C'est à vous, MJ, d'aller vers le joueur pour travailler le personnage.
C'est important que le joueur le voie comme un être "à part entière", avec une personnalité, des origines et des buts.
Ce dernier point est peut-être le plus important : des BUTS.


Qu'est ce qui motive le PJ à tout quitter pour partir à l'aventure?
 
S'agit-il d'une vengeance? Veut-il se couvrir de gloire et d'argent? Est-il en mission pour un duc ou un comte? Un rôdeur peut très bien être le "garde forestier" du village dans lequel se passe l'aventure. Il peut aussi s'agir d'un missionnaire envoyé par l'église pour tenter de convertir ce village païen.
  Si le PJ tombe comme un cheveu sur la soupe, votre séquence d'introduction peut très vite ne déboucher sur rien...
"Heu écoute, je vois pas pourquoi mon perso irait se coltiner ton donjon moisi ; c'est juste un paysan, il a un job tranquille dans les champs et, si même la milice n'arrive pas à se débarrasser des gobelins, pourquoi est-ce que j'aurais la moindre chance de revenir vivant? Alors je crois que je vais retourner labourer mon champ parce que ca va bientôt être la saison des semences, et qu'il faut bien que je me mange, moi".
  Au contraire, si on reprend l'exemple d'avant mais qu'on trouve des motivations suffisamment importantes pour que le PJ aille risquer sa vie, eh bien le scénario est lancé.
  "J'enrage, la milice ne fait rien pour retrouver ma mère, pourtant c'est évident qu'elle a été enlevée par les gobelins! On a retrouvé leurs armes à côté de son panier de champignons! Merde, il y avait du SANG sur ce panier! La milice ne bougera pas, les gars sont trop pétochards pour y aller, si je n'y vais pas moi même, elle va y passer, comme les autres avant elle! Je vais aller fouiller cette grotte et faire bouffer son gourdin à chaque gobelin qui s'y terre!"
  Quel qu'il soit, il faut en déterminer un avec le joueur, et qu'il soit compatible avec vôtre scénario et le groupe. N'allez pas, si vous êtes MJ débutant, coller un psychopathe tueur d'enfants dans le meme groupe qu'un paladin fidèle serviteur de la justice. Vous allez passer la moitié de la partie à gérer les conflits entre ces deux personnages, le scénario va pas avancer d'une miette et l'un des PJ finira mort ou en prison.


Qu'est ce qui soude le groupe?

  Tout aussi important. Les PJ n'ont peut être pas des objectifs de départ identiques, mais quelque chose fait qu'ils doivent rester ensemble et s'entraider. A vous de trouver quoi!
  Il faut un objectif commun aux PJ, qui peut se superposer ou s'ajouter à l'objectif personnel de chaque PJ.
Il s'agit, ni plus ni moins, de la TRAME DE FOND de votre scénario ou campagne.
  S'ils ont des objectifs trop divergents voire opposés, c'est un sacré problème de cohésion. Non seulement ils n'ont rien à faire ensemble, mais en plus ils se gênent. Bien sûr, dans le cadre du "one shot" (scénario unique dans le cadre d'une seule partie), cette mécanique peut même s'avérer efficace pour le scénario.

Examinons un classique du cinéma : Indiana Jones et la Dernière croisade (spoiler pour les éventuels aliens à ne jamais l'avoir vu):
Dans ce film, on peut résumer le groupe de protagonistes à :
- Indiana Jones
- Henry Jones, son père
- Marcus Brody, ami de la famille Jones
- Elsa Schneider

Chaque protagoniste a un but différent en début de film :
- Indiana recherche le Graal principalement pour retrouver et secourir son père
- Henry recherche le Graal pour sa valeur idéologique et religieuse
- Elsa Schneiner le veut pour sa valeur archéologique et est surtout commanditée par un intervenant extérieur
- Marcus veut lui aider Indiana et Henry.

Mais leur objectif commun est de Retrouver le Saint Graal

  Ces 4 personnes se retrouvent embarquées dans la même galère, partagent les mêmes dangers, et ont besoin des autres
Bien sûr; il existe aussi un fort attachement sentimental reliant Indiana, Henry et Marcus. pour accomplir leur objectif. Et pourtant l'un des personnages, Elsa, se retrouve dans le "camp ennemi" en fin de film : son objectif personnel est opposé à celui des 3 autres.
  Un des moyens les plus efficaces de souder un groupe, au moins temporairement, c'est la survie. Quelque chose ou quelqu'un de suffisamment puissant en veut à leurs vies à tous. Une créature démoniaque, un puissant sorcier, des attaques de loup garou, une peste surnaturelle, j'en passe. Seul, le PJ n'a aucune chance, mais dans le groupe, il peut espérer survivre.

(La suite dans le prochain post!)


Mes autres articles pour D&D :

- Démolir les clichés : la magie
- Ravenloft
- Planescape

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5 commentaires:

  1. Félicitations pour attaquer une question de cette ampleur. Question polémique d'ailleurs vu que récemment le président de la FFJDR aurait dit que Donj n'était pas un jeu de rôles à part entière. C'est un peu gonflé pour parler du best-seller qui porte à lui seul plus de la moitié du marché, mais bon.

    Concernant le fond du sujet, je ferai quand même attention à ne pas dire de Donj qu'il s'agit d'un jeu profondément fin et permettant des trésors d'interprétation. Globalement, on reste largement orienté baston.
    Malgré tout, je pense que ce n'est pas un mal si on donne une orientation "manga-épique-bourrin-cool" à sa partie, avec par exemple des personnages qui se relèvent sur un jet de volonté après avoir encaissé des centaines de points de dégâts. Dans ce cas là, on peut se retrouver avec des parties à la Naruto, ou Samourai Deeper Kyo, assez peu logiques, mais ou l’intérêt est ailleurs (dans le côté "narration épique").

    Clairement, pour moi Donj est un jeu dans lequel le Roleplay est assez secondaire. Ce qui ne veut surtout pas dire qu'on ne doive pas en faire. C'est simplement une moindre priorité.

    Enfin, je te rejoint totalement lorsque tu dis que c'est chaque table qui doit adapter son jeu pour en faire ce qu'elle veut. Et j'ajouterais même que ça vaut dans tous les JdR !

    Beau blog en tous cas. Je m'abonne.

    St Epondyle
    http://epondyle.wordpress.com

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  2. Merci pour ton commentaire!

    En effet, il est vrai que D&D a un système de règles complètement tourné vers le combat. Il parait que ça l'est encore plus pour la 4e édition et sa refonte des pouvoirs magiques (je me suis arrêté pour ma part à la 3.0).

    C'est bien simple : tout, dans le livre du joueur et celui du maitre, mais vraiment TOUT concerne le combat. Des tables d'objets magiques à rallonge, aux tables de gestion des poisons ou des dégâts localisés, des effets d'hébètement, d'engourdissement, la gestion des résistances magiques, de la réduction des dégâts, le positionnement des PJ, leurs innombrables capacités spéciales...
    Les règles des pouvoirs magiques sont tellement détaillées qu'on pourrait penser (et pas forcément à tort...) que certains joueurs ou MJ les appliquent scrupuleusement à la lettre, et qu'elles peuvent être un sujet de discorde.

    Ceux qui jouent à Warhammer 40.000 doivent bien voir ce que je veux dire par là : des joueurs qui sautent sur la moindre ambiguïté des règles pour la tourner à leur avantage.

    Ça en devient en quelque sorte une espèce de rivalité entre les joueurs et le MJ, là où il devrait plutôt il y avoir de la collaboration.

    Et dans le livre du maitre v3.0, perdu entre les tables d’objets magiques et les règles avancées de la fatigue lors des combats aquatiques (rigolez pas, je suis presque sûr de les avoir vues...), un pauvre petit chapitre de quelques pages pour dire que "en fait, c'est bien aussi d'avoir une histoire".

    Donc quand on prend l'ouvrage brut de décoffrage, on pense forcément wargame tactique.

    Qui a de nombreux amateurs. Et dont je ne fais pas partie (même si je joue à Warhammer 40.000!)

    Quelque part, je me dis que c'est un peu dommage pour un groupe de jeunes joueurs qui découvre le jeu de rôles par ce jeu et qui n'a jamais rien connu d'autre, de les limiter à cette vision que je trouve réductrice du JDR, sans cette notion d'implication dans une histoire ou dans un personnage. Sans cette notion de liberté et de mise en avant de l'imaginaire. Sans cet aspect de récit interactif, sans le plaisir de "faire semblant". Tous ces éléments qui font du JDR un loisir si passionnant. Ces éléments qui différencient un wargame d'un JDR, justement.

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  3. Oui tout à fait. Même si Donj est résolument orienté baston, il conserve toutes les caractéristiques du JdR.

    Après pour les intégristes qui jouent avec les figurines officielles (hors de prix) et toutes les règles, la limite devient floue.

    Ca reste un excellent jeu pour les débutants je pense. Et lorsqu'on aspire à plus de roleplay et de complexité dans les intrigues, rien empêche d'aller voir ailleurs. De même, on pourra y revenir plus tard pour poutre du gobelin à l'occasion.

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  4. Tout à fait d'accord avec l'article. Je m'y retrouve complètement. Je suis un fervent promoteur de D&D, premièrement parce que c'est le premier jdr auquel j'ai joué et vécu les meilleures expérience de ma vie de rôliste (sans déc'). Quand j’entends "D&D ça pue du cul, c'est de la merde pour les faux joueurs qui savent que jeter des dés", je réplique que c'est le MD et les joueurs qui se laissent enfermer dans le système de règles. Comme la plupart des JDR, D&D devient ce que l'on en fait. On n'est pas obligé de rester dans le classique et souvent absurde "porte-monstre-trésors" sans une once de narration et de roleplay et où on passe son temps à jeter des dès et se prendre la tête sur les points de règles. La principal qualité de D&D est de posséder un univers extrêmement riche nourrie par nombre de références mythologiques, fantastique et philosophique (euh sur ce dernier point j'exagère peut-être un peu, quoique Planescape est certainement l'un des meilleur monde de jdr auquel j'ai pu jouer et lui se base beaucoup sur le roleplay).

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  5. Je crois qu'une de tes phrases résume tout ce que je pense :
    "Comme la plupart des JDR, D&D devient ce que l'on en fait."

    Oh que oui.

    Merci pour ton commentaire!

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