D&D : Planescape : une extension pour les gouverner
toutes
S’il y a une extension pour
D&D qui m’a vraiment marqué, c’est bien celle-ci. Pour les non-initiés,
Planescape est un univers de jeu pour Advanced Dungeons & Dragons sortie en
1997 en France et dont l’immense majorité des publications n’ont pas été
traduites de l’anglais. Certains connaissent l’univers grâce à l’excellent jeu
Planescape Torment, sorti peu après Baldur’s Gate 1er du nom, sur
PC, à la fin des années 1990. Il s’agit ici d’adapter le concept d’univers
parallèles, très présent dans le domaine de la science-fiction (De l’autre côté
du miroir, A la croisée des mondes, Sliders, the Fringe, Retour vers le futur
II, etc…) à une ambiance initialement médiévale fantastique. Richement
illustrée, un contenu fourmillant de détails allant jusqu’à développer un
véritable argot, facile à lire, cette édition est un grand bol d’air frais au
milieu de l’immensité des publications D&D sans intérêt. Cette extension est
désormais introuvable, j’avais à l’époque acheté la mienne au rabais alors que
la 3e édition de D&D venait de sortir et rendait (en théorie)
tous les suppléments précédents caduques. Elle n’a malheureusement jamais été
rééditée telle quelle et on a eu droit pour la 3e édition à un fade
« manuel des plans » qui est loin de retranscrire l’ambiance de
l’édition originale.
Laissez-moi donc vous présenter
cet univers, ou plus exactement, CES univers de jeux, et comme toujours,
comment aborder cette extension du point de vue du MJ.
Imaginez que l’univers dans
lequel nous vivons n’est qu’une des innombrables facettes d’un immense système,
doté d’une infinité de dimensions parallèles. Chacun de ces univers représente
alors ce que l’on appelle un « plan ». L’ensemble de cette infinité
de plans est appelé « Multivers », et regroupe donc absolument toute
la création. Ces différents plans ne communiquent pas directement, mais il
existe des moyens de passer de l’un à l’autre. Voyager ainsi entre les plans est
réservé aux dieux et à leurs serviteurs, ainsi qu’à une poignée d’initiés
(mal)chanceux. Du point de vue du MJ tout comme des joueurs, cette extension
vous offre l’infini. Pourquoi se contenter d’un seul monde quand on peut avoir l’univers
?
L’idée est de donner une
cohérence d’ensemble à tous les univers de jeu D&D, qu’ils soient
commerciaux (Dragonlance, Royaumes Oubliés, Ravenloft, etc…) ou complètement
inventés par de nombreux MJ inspirés. C’est simple, ils existent tous dans des
univers parallèles et il est possible de les faire communiquer. Mais bien
au-delà de ce concept, l’extension met en place tout un ensemble de plans
centraux qui non seulement régissent l’organisation des autres plans, mais qui
sont aussi la résidence des différentes divinités idolâtrés dans l’univers. Au
milieu de ce multivers s’étend l’Outreterre, une vaste étendue aux frontières
floues, sorte d’antichambre vers les plans les plus exotiques, et en son centre
trône la légendaire Sigil, cité singulière et surréaliste en forme d’anneau, à
laquelle tous les plans de l’existence sont reliés.
La véritable force de cette
extension est d’avoir unifié l’ensemble de la gamme D&D, tout en
l’enrichissant de concepts et de lieux très travaillés. Nous reviendrons plus
en détail sur Sigil, qui est la pierre angulaire de toute aventure Planescape.
A moins de disposer d’une
puissance quasi divine, le moyen le plus sûr de s’y prendre est de trouver un
« portail » qui, une fois traversé, mène vers un autre plan. Chaque
objet ou construction ayant vaguement la forme d’une arche peut abriter un
portail. Il peut donc s’agir d’une arche naturelle de pierre, ou bien formée
par les branches entrecroisées de deux arbres, mais aussi d’un simple
encadrement de porte, d’une fenêtre, de l’immense entrée d’un temple… Certains
portails sont permanents tandis que d’autres ont une durée de vie limitée et
très variable. Mais il ne suffit pas de trouver un portail pour pouvoir
l’emprunter : chaque portail dispose d’une clef qui permettra de l’utiliser.
Encore plus que le portail, cette clef peut prendre absolument n’importe quelle
forme : il peut s’agit d’une véritable clef, ou du plus anodin des objets
(vieille botte moisie, trognon de pomme, épée, vêtement…), voire même d’une
parole ou d’une émotion ressentie à ce moment. Une fois le portail activé,
cette clef peut persister ou bien être détruite, selon le bon vouloir du MJ. Et
attention, certains portails marchent dans les deux sens tandis que d’autres ne
marchent que pour l’aller… Et même si le portail fonctionne pour le retour,
rien ne garantit que sa clef soit la même dans l’autre sens ! N’oubliez
pas non plus que les portails peuvent avoir une durée de vie limitée et
disparaitre aussitôt franchi…
La voici, la véritable perle de
cette extension. Sigil est une cité improbable et impossible, déjà par sa forme
d’anneau ou comme si l’on avait construit une fourmilière à l’intérieur d’un
pneu de voiture géant. De fait, par temps clair (ce qui est rare, la ville
étant perpétuellement immergée dans un nuage de pollution soufré), il est
possible de voir la partie opposée de la ville juste en levant les yeux. Preuve
de son statut de ville impossible, Sigil est située au sommet d’une montagne de
hauteur infinie appelée le moyeu, elle-même au centre de l’Outreterre qui s’étend
sur une surface sans fin. Cette ville est nommée la « cité des
portails » car on dit qu’il existe au moins un portail partant de Sigil et
allant vers chaque plan de l’existence. Il s’agit donc d’un nœud de
communication important, d’autant plus que les divinités et puissances
extérieures n’ont pas d’influence directe sur la cité. Car cette ville
sanctuaire est dirigée par l’énigmatique Dame des Douleurs qui ne s’exprime jamais
directement et dont on ignore l’identité exacte. En pratique on sait peu de
chose, si ce n’est qu’il s’agit d’une créature suffisamment puissante pour
imposer sa volonté sur des êtres aussi puissants que les dieux eux-mêmes.
La cité à proprement parler a
tout de la fourmilière. Surpeuplée, les gens vivent entassés les uns sur les
autres dans un agglomérat de constructions plus au moins anarchiques. La circulation
y est difficile, l’air vicié de pollution, mais néanmoins, la cité attire
toujours plus de monde. Porte d’entrée privilégiée pour les explorateurs des
plans, la cité est aussi une forme de sanctuaire à l’abri des influences
extérieures. Une jolie ambiance de désordre se dégage de cette cité grouillant
de vie, où chaque habitant cherche à survivre et à creuser son trou si possible
en s’y mettant plein les poches. L’image me venant à l’esprit serait un vieux
camembert laissé au soleil dans lequel aurait élu domicile une nuée d’asticots.
Le quotidien y est organisé
autour de factions, sortes de groupes identitaires qui donnent littéralement
vie à des concepts et à des idées. En fonction de leurs idéologies, les
factions occupent chacune un rôle dans la vie publique de Sigil. Par exemple,
les disciples de l’Harmonium pensent que
la paix et la stabilité peuvent ne peuvent être garanties que par une loi
unique : la leur. C’est tout naturellement qu’ils s’occupent du maintien
de l’ordre dans la cité, à leur manière, bornée et autoritaire. Les
Hommes-Poussière, d’un autre côté, croient que la vie et la mort ne sont que
des concepts erronés et qu’il existe un état de « Mort Véritable »,
état de perfection que l’on ne peut approcher qu’en se débarrassant de ses passions
et de sa raison. Ils occupent la fonction de croque-morts au sein de la cité.
Les factions sont aussi nombreuses que variées, défendant des thèmes aussi
saugrenus que l’égocentrisme, ou même le chaos total… Bien évidemment, l’idéologie
d’une faction peut être en totale contradiction avec celle d’une faction
opposée, ce qui engendre régulièrement des « frictions », tout
comme certaines idéologies peuvent être suffisamment proches pour amener des
factions à s’allier. Dans un contexte plus global de lutte d’influence permanent
pour le contrôle de la ville. Car oui, chaque faction possède le rêve secret de
dominer Sigil et de la modeler à son image. Au milieu de tout ça, les PJs, qui
peuvent facilement se retrouver instrumentalisés. En deux mots, ce sont les
factions qui se partagent le pouvoir à Sigil, et les PJs auront à faire à
elles.
Cette extension apporte une
(infinité de ^^) dimension(s) supplémentaire(s) à une expérience de jeu
classique de par la grande liberté scénaristique qu’elle procure. On peut très
bien utiliser l’extension comme une manière pratique de « changer de
décor », de se rendre rapidement d’un lieu à l’autre de manière rapide
avec une transition toute faite, tout comme il est possible de s’appuyer sur la
richesse extraordinaire de Sigil, de l’Outreterre et des plans supérieurs comme
inférieurs. Mais il est également possible de jouer sur les univers parallèles
« miroirs », où les PJs se retrouvent dans un monde qui semble être
une copie du leur, avec leurs doubles, mais où se sont produits de nombreux
faits alternatifs. C’est reprendre le principe de la série Sliders par exemple,
où les personnages sont contraints de voyager dans des univers qui sont souvent
très proches mais où certains évènements ont changé le cours du monde de
manière assez profonde (la généralisation du clonage, l’absence d’arme
nucléraire, la Terre connaissant une ère glaciaire…).
Le principe même des portails
peut également être utilisé de très nombreuses manières comme ressort
scénaristique. Les PJs peuvent être au courant de l’existence des portails et
en rechercher un pour un but précis ; mais ils peuvent aussi y être
confrontés de manière « fortuite ». Exemple classique mais souvent
efficace : les PJs se retrouvent pris aux piège et encerclés dans un lieu
sans aucune chance de fuite ni de survie. Soudain, ils se retrouvent nez à nez
avec un portail qu’ils activent sans y prêter attention, et doivent l’emprunter
sans trop savoir ce dont il s’agit, dans l’urgence et la précipitation. Et hop,
voici nos aventuriers embarqués pour de nouvelles aventures
multidimensionnelles ! ^^
Les portails peuvent être des éléments
centraux d’une intrigue. Pour un groupe d’explorateurs involontaires du
multivers, qui se seraient aventurés dans l’univers de Planescape pour échapper
à une situation désespérée (par comparaison, cela reviendrait à sauter par la
fenêtre du 15e étage pour échapper à l’incendie qui ravage
l’immeuble), l’objectif est tout trouvé : rentrer chez eux. Dans ce cas,
on s’efforcera bien entendu de rendre le portail qui les a conduits hors de
leur plan inaccessible. Il existe de nombreux moyens pour ce faire :
détruire le portail qui les a conduit hors de chez eux une fois qu’ils l’ont
passé ; faire en sorte que la clef d’activation du portail ne soit pas la
même que pour le reprendre en sens inverse, ou bien faire en sorte qu’on leur
dérobe la clef ou qu’elle soit à usage unique, par exemple. Il est également
important d’une certaine manière de limiter l’utilisation des portails au cadre
de l’aventure, pour éviter que la partie ne devienne un bordel monstre…
En conclusion
Planescape est sans aucun doute l’univers
de jeu que je préfère de toute la gamme D&D. D’une part, les suppléments
(maintenant introuvables) d’AD&D sont très bien écrits et remplis d’informations,
avec une pointe d’humour particulièrement bien sentie qui transporte
littéralement dans un autre monde. Toute une rubrique du libre de base est
consacrée par exemple à l’argot parlé à Sigil, et que l’on retrouve dans tous
les autres chapitres. Les illustrations sont de qualité et participent
également à l’ambiance.
Par ailleurs, cette extension de
jeu est « l’extension pour les gouverner toutes », c’est-à-dire qu’elle
va unifier tous les univers de jeu D&D déjà existants pour les rendre tous
compatibles et interdépendants. Cela ouvre des possibilités scénaristiques
infinies et c’est un outil parfaitement excellent pour tout MJ qui se respecte !
Même si la plupart des éditions
originales sont difficiles à trouver (et encore, un certain nombre de
productions n’ont jamais été traduites de l’anglais), il est toujours possible
de trouver des infos sur internet qui retranscrivent cette fameuse ambiance
unique.
Je vous souhaite bon jeu dans
le Multivers !
Liens
Lien vers : http://www.donjondudragon.fr/univers/planescape.html
Le donjon du dragon, site qui regroupe pas mal d’infos sur les différents
univers de jeu D&D à travers l’histoire !
Mes autres articles pour D&D :
- Démolir les vieux clichés
- Démolir les clichés : la magie
- Ravenloft
Mes autres articles pour D&D :
- Démolir les vieux clichés
- Démolir les clichés : la magie
- Ravenloft

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire